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Listen to the brass night

Un projet de Massimo Furlan, Numero23Prod.
Créé le 22 août 2015 pour le Far, Festival de Nyon.
Avec la Fanfare Municipale de Mont-sur-Rolle, direction: Albin de Miéville
Lumière: Daniel Demont

Ce qui intéresse Massimo Furlan c’est de fabriquer des images. Après avoir travaillé pendant plusieurs années en atelier, à dessiner et peindre, il a choisi la scène pour créer des images en trois dimensions, avec les artifices du théâtre : la lumière, le son, le mouvement. Le texte est presque toujours absent de ses projets. Ce n’est ni du théâtre ni de la danse, mais un territoire de recherche, d’expérimentation, un terrain performatif qui lui permet de construire ce qu’il nomme lui-même des « images longues ». Des tableaux vivants en quelque sorte, des images qui respirent, dans lesquelles le regard se promène, en observe la composition, l’équilibre, les couleurs, parfois l’étrangeté et l’incongruité. L’histoire, le spectateur la construit seul, la relie à ce qu’il vient de voir, ou à d’autres images qu’il a déjà vues, ailleurs, dans un autre lieu, par exemple dans un musée, ou dans un cinéma. C’est à lui de choisir, de jouer avec le sens, les sensations, de se laisser glisser dans une sorte de rêverie. Il n’y a pas de point de vue unique, pas d’injonctions, et en cela la démarche scénique de Massimo Furlan appartient complètement au champ de l’art contemporain. L’œuvre oscille entre l’absence et l’excès de signes, et de sens. Entre l’interprète et le spectateur, entre l’artiste et le récepteur, se joue une projection mutuelle de subjectivité.

Entretien avec Claire de Ribaupierre

– En 2005, dans le cadre du festival far°, tu as proposé une performance sur le trajet du train Nyon-St Cergue, de nuit. Est-ce que tu peux évoquer certaines des scènes du projet?

Oui, pour moi le far° c’est lié à la performance Girls change places. J’avais décidé de mettre les spectateurs dans le train et de les faire voyager sur la ligne Nyon-St Cergue. C’était un projet assez extraordinaire, qui se déroulait de nuit, qui reste en mémoire de tous ceux qui l’ont fait, d’une manière vraiment très particulière. On n’avait pas répété, on avait juste repéré les gares où on voulait que le train s’arrête, on avait fait un tour pour résoudre les problèmes techniques, imaginé les scènes, et puis on avait fait une seule mise en place, une sorte de générale, la nuit avant. C’était à la fois complètement léger et totalement ambitieux et délirant. Il me reste en mémoire la scène du long travelling de la Cadillac décapotable, avec des filles assises à l’arrière, qui suivait pendant plusieurs kilomètres le parcours du train, en parallèle. L’apparition en pleine nature de la Pièta, Diane Decker en Vierge Marie qui tenait, allongé sur ses genoux, Philippe de Rham notre ingénieur du son, en Christ mort: c’était comme d’entrer dans un tableau. Et juste avant d’arriver à St Cergue, tout en haut, dans la nuit, la jeune femme en petite robe blanche à cheval prise dans le faisceau des phares de la Cadillac. Enfin, bien sûr, les deux heures de panne du train, la deuxième nuit, arrêté en rase campagne… Du coup la performance s’est terminée au petit matin. C’était magique, à l’aube.

– Qu’évoque pour toi l’idée de commémoration? (com-mémorer: se souvenir ensemble, rappeler un souvenir)
Commémorer, c’est célébrer un souvenir, le faire revenir, le refaire, en proposant une fête, sur un mode non pas pompeux, mais léger, sans prétention.
Sachant que le festival fête ses trente ans cette année, je me suis demandé ce que je pouvais commémorer, moi, à ma manière, par rapport au festival. Le train reste pour moi un projet magnifique, à priori impossible, et c’est cette envie qui me vient de retourner sur ses traces. On pourrait dire que pour moi, tout simplement, le festival far° évoque en tout premier le train Nyon-St Cergue.
J’ai envie de retraverser ce paysage, de faire que le paysage nocturne se révèle une nouvelle fois aux spectateurs, sans y intervenir ou juste un peu , en donnant en quelque sorte une bande sonore au paysage. J’aimerai montrer ce qu’on voit chaque jour, et simultanément montrer ce qu’on ne voit pas chaque jour.

– Pour ce projet à venir, tu as décidé de faire intervenir une fanfare. La fanfare apparaît dans plusieurs de tes spectacles, est-ce que tu pourrais développer le lien que tu entretiens avec cette musique?
Oui, c’est vrai. J’aime cette musique populaire, simple, en lien direct avec la société. Pour moi le son d’une fanfare évoque le souvenir que j’ai des films de Fellini. La fanfare ou les instruments qui la constituent était présente dans ma première performance scénique, Gran Canyon Solitude: pour un des tableaux, tous les performeurs avaient des trompettes, tubas, sousaphones, etc. et devaient souffler dedans alors qu’ils ne savaient pas jouer. La scène durait une dizaine de minutes. Dans Les Héros de la pensée, c’est un peu le même principe: chaque philosophe reçoit un instrument, et doit produire un son, jouer en collectif, avec ses partenaires, pendant cinq minutes à la fin de chaque heure. La performance a une durée totale de 26 heures. Et de vraies fanfares ont accompagné à trois reprises mes performances à caractère footballistique, jouant, comme il se doit, les hymnes au début de la partie, à Vienne, Hambourg et Halle. Dernièrement, pour la performance Gym Club créée à Graz en Autriche, qui porte sur la question de la musculation et de la figure d’Arnold Schwarzenegger, la quasi totalité de la bande son est basée sur les airs de la fanfare italienne des Bersaglieri.

– Ce nouveau projet pour le far° est un projet collaboratif. Est-ce que c’est quelque chose d’important pour toi que de collaborer avec d’autres partenaires? qu’est-ce que cela implique?
Oui, un des enjeux de cette performance c’est de rencontrer et de travailler avec des personnes qui appartiennent à une fanfare. Avec des gens qui jouent de la musique pour le plaisir d’être ensemble. De la musique d’ici le plus souvent. Essayer d’aller, avec eux, le plus loin possible, le plus simplement. J’aime bien travailler avec des gens qui ne font pas partie du monde de la scène, je l’ai déjà fait à plusieurs reprises, notamment à Paris, avec le Théâtre de la Cité Internationale où j’ai créé deux performances avec des enfants et des personnes âgées, dans It’s all forgotten, autour de la scène de bal de Shining de Kubrick, puis dans la performance Madre avec des étudiants du campus, enfin sur Schiller Thriller avec un groupe de 20 amateurs, en Allemagne, à Lausanne et à Genève.
Et par conséquent j’aime aussi collaborer avec d’autres institutions qui n’ont aucun lien avec le théâtre ou l’art contemporain, comme le personnel de l’aéroport de Genève, les équipes de football, les responsables administratifs, et j’avais beaucoup aimer travailler en 2005 avec les conducteurs du train Nyon-St Cergue. J’aime découvrir de nouveaux mondes, et embarquer les gens sur un projet qui peut sembler insensé.

– Qu’est-ce que tu aimerais que le spectateur ressente dans cette performance ?
Je n’ai pas envie de proposer une forme spectaculaire, j’ai envie de laisser le paysage apparaître, respirer, pour lui-même. Je veux que le spectateur pénètre doucement dans l’image, qui est une image longue. Qu’il écoute simplement la musique qui vient de la nuit, qui rompt le silence, et donne une couleur à l’obscurité. Qu’il voie apparaître un détail, une forme, une chose. Qu’il se laisse aller à l’idée du voyage, à la durée, au bruit des wagons. Que la fenêtre du train devienne le cadre des images qu’il aperçoit, qui surgissent dans la nuit.

Teaser du Festival, avec un extrait de Listen to the brass night :-)