Date(s)

  • 19 juin 2004 – Unidram Festival, Potsdam – Allemagne

Gran Canyon Solitude

J’ai vu cet homme à de nombreuses reprises, presque toujours au même endroit, dans une montée.
C’est un homme vieux, un casque sur la tête. Il est assis sur un vélomoteur.
Un vélomoteur démodé avec des sacoches à droite et à gauche.
Il va sur une grande route. A gauche et à droite on ne distingue rien. C’est la nuit. Il y a des voitures qui le dépassent et il y a lui qui va tout seul. La route est longue. Il y a une autre nuit et il y a lui encore au même endroit.
Cet homme a toujours eu quelque chose pour moi d’inquiétant. Lorsque nous le dépassions et que je le voyais une fraction de secondes, j’avais le pressentiment que cet homme ce serait moi, vieux, si je ne me mettais pas enfin à travailler à l’école. Cet homme était un avertissement.1. J’utilise comme élément de travail une première image scénique. Le processus fera peut-être que cette image, cette action, n’existera plus dans le résultat final.
On distingue deux filles, belles et fatiguées, lassivement assises sur un canapé. Le canapé est au centre d’un vaste espace. J’apparais vêtu de mes habits d’artiste, un casque sur la tête. Je conduis un vélomoteur comme celui décrit plus haut. Je tourne autour des filles. Cela dure. Peu à peu une fumée envahit l’espace. Les spectateurs sont séparés hermétiquement de celui-ci. Ils voient progressivement la fumée se propager jusqu’à faire disparaître les personnages. Le vacarme du vélomoteur continue pendant un certain laps de temps, puis s’arrête. La fumée se dissipe lentement. On distingue alors un corps inanimé (moi) et le canapé vide.
2. L’espace est entièrement noir. Assez loin des spectateurs, toujours hermétiquement séparés des personnages, il y a un passage continuel de personnes. De personnes anonymes. Les ténèbres rendent la perception des mouvements extrêmement difficile. On ne sait pas si ce sont les mêmes qui passent ou si c’est à chaque fois quelqu’un d’autre.
On voit passer quelqu’un. On ne voit pas bien.
De la gauche à la droite du champ de vision.
Puis une autre personne. Elle court.
Puis une autre encore.
Il ne bouge pas (moi).
Une autre passe encore.
Il bouge comme si.
Comme si. Si il avait quelque chose à faire, à dire.
On croit savoir quoi. On croit savoir à quoi il joue.
Mais il tombe.
On voit passer quelqu’un assez rapidement.
Encore quelqu’un. De la gauche à la droite.
Et puis encore quelqu’un. Et quelqu’un encore.Je ne sais pas si l’on voit la carcasse, la silhouette du vélomoteur.
Les deux filles sont belles et étranges, elles ressemblent à celles qui ont disparu. Il y a d’autres personnes mais je ne sais pas.
Cela peut durer vingt minutes. Cela peut durer huit heures.
Cela pourrait parler de l’échec, du pathétique et des fantômes.

Avec:
Anne Delahaye, Vinicio Furlan, Thomas Hempler, Philippe de Rham, Daniel Demont, Leticia Rochaix, Muriel Imbach, Thierry Stalder, Lionel Haubois, Sun-He Hur, Stéphane Vecchione, Neda Loncarevic, Julie Evard, Massimo Furlan.