Date(s)

  • 30 mai, 4, 5 et 6 juin 2009 – Le Merlan en vagabondage, Marseille – France
  • 3 octobre 2008 – FIES Factory one, Dro – Italie
  • 28 et 29 octobre 2006 – Teatro Pan, Lugano – Suisse

Vidéos

Live me/Love me

En voyant à la télévision des chanteurs se produire en public, j’avais remarqué que de nombreuses jeunes filles criaient leur amour et leur admiration sans limite, aveugle, et en continu. J’avais remarqué aussi qu’il n’y avait pas de garçons, ou plutôt qu’ils étaient peu nombreux et plus réservés. Les filles aimaient le chanteur, elles n’aimaient que lui. Le chanteur, lui, semblait attendre ces marques d’amour. Dans les yeux des garçons je croyais lire une certaine mélancolie, le début de l’échec. Il faut monter un escalier, seul, dans la nuit.

En haut de l’escalier, le spectateur se retrouve face à une grande vitre, elle reflète son image. Il y a là un micro et un casque audio.

Une fois le casque mis une balance de lumière s’opère, et l’on aperçoit, derrière la vitre, une scène : un canapé en velours, deux femmes en vêtements de paillettes, et le chanteur de charme, en rouge et or. Ces trois personnages se déplacent dans l’espace en murmurant. La lumière rouge rappelle celle d’une boîte de nuit, le dispositif celui d’un peep-show.

Les filles sont lasses et lascives, vulgaires, sexy, trop maquillées, belles et fatiguées. Le chanteur dans sa tenue grotesque et dérisoire, dégage une violence inquiétante. C’est avec agressivité et désespoir qu’il demande une reconnaissance, qu’il exige de l’amour. La scène semble tirée d’un mauvais film de série B.

Le spectateur est placé de force dans une situation d’échange : les femmes doivent donner une preuve d’amour, faire cadeau au chanteur d’un objet personnel qu’elles portent sur elle. Alors elles reçoivent une chanson d’amour, exécutée en direct et enregistrée sur une cassette qu’elles peuvent emporter. Les hommes, eux sont soumis à un autre marché : ils sont sommés de reconnaître l’amour que les femmes portent au chanteur et sont invités en quelque sorte à prendre sa place: ils doivent chanter une chanson d’amour, qui sera enregistrée mais ne leur sera pas donnée. En retour, ils reçoivent la complicité des deux call-girls, un sourire, un encouragement, un geste.

Et si rien ne se passe, si le spectateur n’entre pas dans le jeu et n’accepte pas la contrainte, alors la lumière s’éteint et il se retrouve seul, face à sa propre image, obligé de quitter les lieux.

Et quand l’échange est terminé (qui peut durer entre 3 et 30 minutes, voire davantage), le spectateur redescend l’escalier dans le noir, abasourdi, et se retrouve dans la lumière crue de la salle d’attente où patientent les suivants qui le dévisagent pour lire sur son visage une trace de ce qui s’est passé et du sort qui leur est réservé.

Ensuite, les récits circulent, mais tous différents, car chaque histoire est unique, chaque échange singulier. Se dégage un malaise après coup, face à cet acte de violence qu’est la demande d’amour et de reconnaissance du chanteur. Cet artiste tragiquement seul, misérable, nous offre de lui une image artificielle, énigmatique mais grotesque aussi. Il nous place face à une exigence que l’on ne peut remplir, celle de l’aimer sans réserve, il nous dépossède d’une partie de nous-même, nous trompe et nous laisse dans le noir, dépouillés, sans ressources.

Avec:
Anne Delahaye, Shin Iglesias et Massimo Furlan.
Lumières:
Thomas Hempler.
Technique:
Lionel Haubois.