Date(s)

  • 12, 13 et 14 août 2004 – Festival FAR, Nyon – Suisse

Girls Change Places

Girls Change Places
Un projet de Massimo Furlan
Festival FAR, Nyon, 2004

Il y a un train. Il part de Nyon en Suisse et il va vers la montagne. On monte. On s’éloigne. C’est la nuit. C’est l’été. Peu de monde.
Quand j’étais enfant, avec ma sœur et mes parents, nous regardions une fois par année le « Concours Eurovision de la chanson ». En 1973, alors que toute mon attention semblait aller vers la représentante de l’équipe d’Italie évidemment, il y a eu Patrick Juvet, le concurrent de la Suisse, pays dans lequel nous vivions. J’ai été marqué à jamais par la prestation spectaculaire de M. Juvet. Il était beau. On le présentait, à la même époque, chantant dans la neige avec un incroyable manteau de fourrure. Il avait les cheveux longs, il avait les cheveux blonds. Il était libre, démesurément libre à mes yeux, et j’en étais perturbé. Il fait partie de mes premières figures d’artiste. Il était la preuve qu’il existait un lien entre le monde féerique dont nous rêvions ma sœur et moi et la réalité. Patrick Juvet n’habitait pas très loin d’Ecublens, à Montreux ; il était invisible (star) mais pourtant il était parmi nous. Sa carrière a continué avec des hauts et des bas. Ça n’a pas d’importance.

Je voulais, par ce projet, comme après un chemin de croix, le retrouver, splendide, pathétique, au milieu de rien, au dernier arrêt du train, en pleine nuit, dans une petite gare de campagne. L’entendre chanter la Musica comme en 1973, la seule chanson qui ne me soit jamais sortie de la tête. L’entendre chanter avec son manteau de fourrure, seul et libre, pour ne pas l’oublier.

Description
Après avoir réservé leur billet, les spectateurs arrivent à la gare de Nyon, le soir tard, vers minuit. Ils entrent dans un wagon du train Nyon-St Cergue. Il n’y a qu’un seul wagon. Le train part, on sort de la ville, on quitte le lac, on entre dans la campagne, dans le noir. On s’arrête une première fois et on découvre, dans une petite gare, une image longue se référant au monde du chanteur et à mon monde fantasmé, allégorique. Ces images sont simples dans leur réalisation : la plupart du temps des personnes se tenant dans la lumière des gares, prenant des poses, représentant quelque chose d’incongru par rapport à la situation elle-même – celle de la gare de campagne. L’une d’elles : une scène de Déposition (Michel Ange, La Pietà) – Marie et Jésus habillés de manière « historique », etc.

Il y a six arrêts avant le septième, le final. Dans celui-ci, on découvre un piano sur le quai d’une petite gare quelconque, Patrick Juvet assis derrière le piano, et après un long moment où le train s’est arrêté, on l’entend chanter tout doucement La Musica. On se demande alors « est-ce lui ? un sosie ? » Puis, à la fin de la chanson, le train repart. Dans le wagon, il ne devrait plus y avoir de bruit. Peut-être encore juste les notes résiduelles de La Musica. On repenserait alors aux images que l’on a vues dans la nuit, à ces images pathétiques, à ces filles belles et sensuelles, ambiguës, aux hommes seuls, un peu comme un hommage à M. Juvet, fait de ténèbres, de silences, et de solitude.